Big bang de la formation : le rôle-clef des entreprises !
« L’appli » CPF est le symbole de la révolution en cours de la formation professionnelle. Celle-ci ne réussira que si les managements jouent le jeu et inscrivent les nouvelles règles dans un plan global de développement des compétences, écrivent les auteurs.
Article paru dans Les Echos du 4 décembre 2019
Le « big bang » de la formation professionnelle de Muriel Pénicaud fait, à juste titre, le pari de la responsabilisation des entreprises et des salariés pour que la France sorte gagnante de la bataille pour les compétences.
Sortant d’une logique plutôt administrative (décompte des entrées en stage avec feuille d’émargement, formations prioritaires fixées par les branches, obligations formelles pesant sur les entreprises…) et visant à mettre fin à un système complexe, coûteux, inefficace et injuste, cette réforme est évidemment la bienvenue.
Sa mesure la plus emblématique est la refonte du compte personnel formation. Avec ses 500 euros qui s’accumulent chaque année, transférables d’un emploi à un autre, ce dispositif unique en Europe a pour objectif que chaque salarié soit davantage autonome dans son évolution professionnelle. Le lancement de l’« appli CPF » le 21 novembre doit permettre à chaque titulaire du compte d’acheter, en direct et sans intermédiaire, des prestations de formation à partir de ses droits accumulés.
Des conditions à réunir
Réussir ce pari suppose que trois conditions soient réunies. La première est l’appropriation de la culture du développement des compétences par les directions et l’encadrement, des comex aux managers de proximité. La diffusion de cette culture et l’évolution vers « l’entreprise apprenante » n’est pas, loin s’en faut, la seule affaire des professionnels qui en sont chargés. Elle doit être intégrée dans le management courant à tous les niveaux et sera vouée à l’échec si le DG lui-même n’en fait pas un facteur clef de succès de sa stratégie.
La deuxième condition est le changement de posture des services RH. Les services de formation des entreprises doivent devenir davantage stratèges, mieux justifier le retour sur investissement des formations, mieux communiquer, mieux aider et conseiller les salariés dans l’exercice de leurs nouveaux droits.
La troisième condition est un changement de culture des salariés, qui, dans l’esprit de la réforme, doivent devenir proactifs et s’engager davantage dans leur propre évolution professionnelle.
Logiques individuelle et collective
Ces conditions ne sont à l’évidence pas systématiquement remplies aujourd’hui. La seule voie de passage pour réussir ces changements se situe au niveau de l’entreprise, à travers un dialogue social rénové par les ordonnances de septembre 2017 réformant le droit du travail (nouvelles règles du jeu, primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche).
En la matière, les thèmes de négociation ne manquent pas : expression des besoins de formation dans la construction du plan de développement des compétences (l’ancien plan de formation), articulation de ce plan avec la stratégie générale de l’entreprise, définition des modalités et des contenus de l’entretien professionnel obligatoire, formation hors temps de travail…
Réconcilier les deux logiques, individuelle et collective, qui sont à l’oeuvre dans cette réforme suppose également de faire preuve de créativité dans le maniement et les conditions de déploiement du CPF. Droit individuel et qui doit le rester, ce dispositif peut lui aussi fournir du grain à moudre aux négociateurs de l’entreprise : information des salariés sur leurs droits, conseil en évolution professionnelle au sein de l’entreprise pour une bonne utilisation du CPF, ciblage des salariés concernés, articulation avec le plan de développement de l’entreprise ou avec des accords de mobilité, création de passerelles financières avec le compte épargne temps, intégration du CPF dans une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Enfin, la loi ouvre des possibilités d’abondement ou de cofinancement du CPF par l’employeur permettant de construire les bases d’une véritable protection sociale élargie à la question de l’évolution professionnelle et de l’employabilité.
Alors même que la formation professionnelle peine encore à s’imposer comme objet de dialogue social dans l’entreprise, le CPF peut être un véritable levier de changement. Ne manquons pas cette opportunité.
Jean-Paul Charlez est président de l’Association nationale des DRH (ANDRH). Bertrand Martinot est directeur du conseil en formation professionnelle, Siaci Saint-Honoré.
Article original sur Les Echos du 4 décembre 2019 à retrouver ici.